LES ÂMES FORTES Jean Giono
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Les « Chroniques romanesques » dans la lumière de Faulkner


     Alors qu’à la lecture d’Angelo, du Hussard sur le toit ou du Bonheur fou, la référence stendhalienne semble évidente – au point de pouvoir parasiter pour certains lecteurs l’approche de ces romans – l’influence plus souterraine et moins avouée par Giono de Faulkner sur ses « Chroniques romanesques » n’en est pas moins essentielle à la compréhension d’une autre écriture parallèle à celle des romans du « cycle du Hussard ». Jacques Chabot a parfaitement exprimé ce qui différencie les deux « massifs » constitutifs de l’oeuvre de Giono entre 1945 et 1957 : « Le Hussard sur le toit reste un roman très traditionnel, récit en troisième personne écrit par un narrateur très subjectif et omniscient, où tout est vu du point de vue du narrateur ou de son héros auquel il s’identifie. Aucune recherche de construction originale de la narration qui reste linéaire, suivant un ordre chronologique continu, comme dans un roman d’aventures ». Composées dans les périodes intermédiaires entre les trois campagnes d’écriture du Hussard, les « Chroniques romanesques » présentent toutes « à des degrés divers,
​la particularité de n’être pas des romans de type traditionnel Ce sont des romans de la désintégration, soit du récit, soit du héros, soit du narrateur, soit des trois à la fois » [1].
 
     Les « Chroniques » portent la marque de l’admiration sans restriction que l’auteur d’Un roi sans divertissement et des Âmes fortes vouait à celui de Tandis que j’agonise et Sanctuaire. « Faulkner, ce géant », s’écrie Giono, en 1961, devant un journaliste qui le compare à son confrère américain. Quand il se lance dans les « Chroniques », Giono est hanté depuis longtemps par Le Bruit et la Fureur et après avoir lu, en 1953, Absalon ! Absalon !, il voudra donner une nouvelle orientation à son œuvre en concevant des romans « modernes », au « ton tout nouveau », où il mettrait en œuvre une « nouvelle formule de récit ». Cette « troisième manière », comme il l’appelle ironiquement dans une lettre à Claude Gallimard, se réfère explicitement à Faulkner, mais Giono ne parviendra pas à la faire aboutir, malgré de nombreux projets, dont seuls les notes préparatoires et les deux fragments rédigés de Dragoon peuvent indiquer vers quoi il tendait.
 
     Pour situer le contexte faulknérien de l’écriture des « Chroniques », nous reprenons ici l’article de Jacques Mény, « Giono lecteur de Faulkner », paru dans la Revue Giono n° 7, 2013-2014.
*   
 Bien que Gallimard eût déjà publié les traductions de trois romans de Faulkner – Sanctuaire (1933), Tandis que j’agonise (1934) et Lumière d’août (1935) –, Giono n’avait rien lu de son confrère américain avant le printemps 1938, où il se plongea dans Sartoris, paru au mois de novembre précédent. L’article que Sartre avait consacré à ce roman quelques mois plus tôt dans La NRF [2] a certainement attiré l’attention de Giono, encore peu familier de la littérature américaine de son temps, sur un livre dont la lecture – nous allons le voir – aura des répercussions immédiates sur Deux cavaliers de l’orage, dont il est en train de former le projet. De la même manière, il est probable qu’un autre article de Sartre, toujours dans La NRF, l’ait engagé à lire, à la même époque, Dos Passos [3]. Si Dos Passos ne séduit guère Giono, Faulkner le bouleverse : il va très vite lire les autres romans déjà parus chez Gallimard et, dès sa publication en décembre 1938, la traduction du Bruit et la Fureur, dont l’influence est essentielle à la compréhension du renouvellement de ses techniques narratives à partir de 1946. Nul doute, qu’en juin 1939, Giono ait aussi lu très attentivement le fameux article de Sartre : « À propos de Le Bruit et la Fureur. La temporalité chez Faulkner » [4].
     De 1938 à 1970, Faulkner ne quittera plus l’horizon de Giono lecteur et créateur. Quelques semaines avant sa disparition, Giono reçoit l’universitaire américaine Norma L. Goodrich, qui témoigne dans son essai Giono, Master of fictional Modes : « While Giono certainly read Sartre’s essays, he also pointed out to me in the course of our conversation in August 1970 that he not only acknowledged his debt to William Faulkner but insisted upon it as his most extensive » [5]. Giono, peu coutumier de ce genre de confidence, reconnaît donc sa dette à l’égard de Faulkner et insiste sur l’importance de celle-ci. Les propos rapportés par Goodrich sont d’autant plus précieux que Giono s’est assez peu exprimé sur Faulkner. En 1957, il avait déjà confié à sa traductrice et amie américaine Katherine Allen Clarke, qu’il admirait Faulkner « comme le plus grand des contemporains américains ». Ce que confirme Élise Giono dans ses « Souvenirs » [6]. Mais, Giono ne commencera à mentionner le nom de Faulkner dans ses entretiens qu’après la mort de celui-ci en 1962. La critique, littéraire ou universitaire, et plusieurs écrivains, dont Henry Miller et J. M. G. Le Clézio [7], ont régulièrement rapproché les œuvres de Faulkner et de Giono, « notre Faulkner français » [8], point de vue que ne partage pas nécessairement la critique faulknérienne. Faulkner n’en est pas moins le seul écrivain contemporain auquel Giono aura souhaité être comparé et auquel il lui est arrivé de se comparer : il « sembla content lorsque je lui dis que je voyais une ressemblance entre lui et Faulkner », se souvenait Katherine Clarke. Sans aucun doute, Giono ne pouvait qu’être ravi de lire sous la plume de son ami Henry Miller dans Les Livres de ma vie : « Comme notre Faulkner, Giono a créé son propre domaine terrestre, un domaine mythique bien plus proche de la réalité que les manuels d’histoire et de géographie » [9].  
     Jusqu’ici, la relation entre les deux œuvres a surtout été étudiée dans une perspective comparatiste : affinités et divergences entre les deux univers romanesques et les imaginaires où ils s’enracinent ; thèmes, motifs et procédés partagés. Mais souvent ces rapprochements entre les romans des deux écrivains ne tiennent pas compte du fait que Giono ne connaissait pas Faulkner tandis qu’il écrivait Que ma joie demeure [10] ou n’avait pas encore lu Absalon, Absalon ! quand il composait Un roi sans divertissement [11]. Je me propose d’observer ici, à partir de la bibliothèque faulknérienne de Giono, de ses archives littéraires et de ses propos, de quelle manière Faulkner a exercé sur lui, au fil des années et dans l’ordre chronologique de sa lecture de ses romans, cette influence essentielle, dont il s’estimait redevable à l’égard de son confrère américain. L’œuvre de Faulkner est la seule d’un écrivain du XXème siècle avec laquelle Giono aura entretenu un dialogue aussi durable et stimulant pour sa propre création que celui qu’il a entretenu, parallèlement, avec celle de Stendhal. Je retiendrai cinq titres de Faulkner comme jalons de ce « compagnonnage souverain » [12] : Sartoris, Le Bruit et la Fureur, Tandis que j’agonise, Absalon, Absalon ! et Faulkner à l’Université.
 
Sartoris
 
     Pour dater de juin 1938 la lecture de Sartoris par Giono, je me fonde sur le décryptage de plusieurs passages de son Journal, rédigés entre juin et octobre 1938, qui se rapportent à la genèse de Deux cavaliers de l’orage, dont il faut rappeler brièvement ce qui a précédé le début de la rédaction, le 24 novembre 1938. Depuis mai 1937, Giono tourne autour de l’idée d’un « roman sur l’arrivée de la force dans la paix d’un village ». Il ne s’agit, dans un premier temps, que d’un « roman court », qui préluderait à l’écriture de son grand roman de la révolte paysanne, jamais écrit et successivement intitulé Terre et liberté, Cavaliers de l’orage, Orage, Les Fêtes de la Mort, Les Grandes Fêtes de l’orage. Nous savons que l’histoire de Deux cavaliers de l’orage est, à l’origine, celle de l’affrontement mortel entre deux frères qui pratiquent la lutte gréco-romaine et que la référence initiale de Giono est la tragédie grecque. Le roman des deux frères prend vite le titre de Cavaliers de l’orage, puis de Deux cavaliers de l’orage. À la lecture de Sartoris, Giono ne peut qu’être frappé par au moins un point commun entre ce roman et son projet [13] : la relation de rivalité entre deux frères est au cœur de chacun d’eux. Certes, chez Faulkner, il s’agit de jumeaux, dont l’un vient de mourir dans le ciel de France au cours des combats de la Grande Guerre et chez Giono, la relation fraternelle joue entre un aîné et son cadet. Mais, jusqu’en octobre 1938, rien n’indique dans les notes de Giono, que la relation affective entre ses deux cavaliers puisse être d’ordre amoureux. Cette nouvelle dimension, qui va considérablement enrichir son roman, a pu lui être suggérée par l’amour qui unit John et Bayard Sartoris et se manifeste, comme ce sera le cas chez les frères Jason, à travers ces « plaisirs communs et fougueux » [14] que sont les bagarres ou d’interminables promenades à cheval. Du jeune Bayard Sartoris, sa tante Jenny dit : « Il n’a jamais eu ça d’affection dans sa vie pour qui que ce soit, excepté pour John » [15] et des Jason, Giono écrit : « un Jason ne peut avoir de passion que pour un Jason » [16].
     Une note du Journal de Giono, datée du 9 juin 1938, fait apparaître un premier affleurement faulknérien, qui introduit dans son œuvre un aspect qui en était absent jusqu’ici : le romanesque généalogique. Voici cette note : « Commencer tout de suite par la description des deux cavaliers – physique et morale – avec les ascendants et les descendants de chacun, leur position dans le village – les grands-parents – le travail. Les réussites passées qui font l’orgueil des deux cav[aliers] ». Aux dernières pages de Sartoris, décrivant la statue dressée sur la tombe d’un autre John Sartoris, aïeul de John et Bayard, Faulkner parle du « geste altier d’orgueil qui se répétait de génération en génération avec une inéluctable fidélité » chez les Sartoris. L’idée de ce qui deviendra le premier chapitre, à la tonalité très faulknérienne, du roman de Giono, « Histoire des Jason », vient de naître. Ce chapitre devait être particulièrement cher à Giono, qui le fera remonter en tête de son roman et le donnera plusieurs fois en prépublication. En 1964, tandis qu’il commence à rédiger Dragoon, roman dont le projet est inséparable de la fascination qu’exerce alors sur lui un autre roman de Faulkner, Absalon, Absalon !, Giono prépare l’édition définitive de Deux cavaliers de l’orage pour Gallimard et, dans une note, parle de « la geste des Jasons ». Or cette expression, inusitée chez lui, est couramment employée – et Giono le sait – à propos des romans généalogiques de Faulkner : geste des Sartoris, geste des Sutpen, des Snopes, des Mc Caslin... Sartoris a donc lancé Giono dans une direction appelée à un bel avenir dans son œuvre. D’autres dynasties succéderont à celle des Jason : les Frédéric (Un roi sans divertissement),
les Pardi (le cycle du Hussard), les Empereur si bien nommés (
Noé), les Coste (Le Moulin de Pologne), les Fabre (Hortense), les Le Duc et les Romanin (Dragoon), sans oublier l’humoristique dynastie Giono elle-même, dont il est question dans Le Grand Théâtre : « Tous les mâles de la famille se transmettaient le prénom de Jean. Mon père était cordonnier, mais nous mettions des numéros à nos prénoms, comme les rois. Chez nous, il était Jean III, et moi Jean IV » [17].
     En octobre 1938, les notes de Giono pour Deux cavaliers de l’orage insistent sur l’importance qu’il accorde au côté dynastique de son roman. Le 17, il écrit : « Les prolongements dans la dynastie. Le mystère de cette royauté de la force – dans les ancêtres ; chaque fois appel au passé, enracinement du drame ; récits de batailles passées. [...] Les souvenirs d’ici et de là, les combats, les dires, les lieux de force. Le drame est noué. Indispensable de composer exactement la liaison dynastique de ces deux paysans, la royauté que la force leur a donnée » [18]. Le 18, Giono trace le plan du chapitre « Histoire des Jason ». Comme chez Faulkner, où la Grande Guerre fait écho à la Guerre de Sécession, Giono « enracine » la dynastie des Jason dans les révolutions du XIXème siècle : « Un révolutionnaire de 93, puis de 48, un déporté de 51 », avant de faire mourir un autre frère Jason  « à la guerre de 14 » [19]. Un épisode crucial du roman va également évoluer sous l’influence directe de Sartoris. Le 28 juillet 1938, Giono avait imaginé que, pour montrer sa force à son jeune frère, l’aîné renverse un veau au cours d’une foire : « Beaux chevaux ; les courses sous les arbres, avec le maquignon à la tête du cheval. Les beaux ânes floqués, les mulets, les beaux veaux [...] L’aîné renverse le veau. [...] le porte sur ses épaules [...] Début de l’Antagonisme [entre les deux frères] ». Le même jour, il fixe « l’amour des deux frères », dont j’ai déjà signalé ce qu’il peut devoir à celui de John et Bayard Sartoris : « Et ils s’aiment. Ils s’aiment farouchement » [20]. Le 25 octobre, Giono décide brusquement que « le tour de force de l’Aîné, c’est qu’il a assommé d’un coup de poing un cheval emballé » [21]. Cette expression de « cheval emballé » vient sans équivoque de Sartoris, où le jeune Bayard, ivre, réussit à monter sur un cheval réputé indomptable et traverse la ville à toute allure, tandis que des passants s’exclament : « Un cheval emballé ! Un cheval emballé ! » [22] Chez Faulkner, le cheval finit par glisser et s’abattre sur le sol, laissant Bayard évanoui. Embrayant sur ce « cheval emballé » faulknérien, l’imagination de Giono invente l’un des épisodes les plus extraordinaires du roman, qui dépasse en démesure celui de Sartoris, d’où il est né : Marceau tue le cheval d’un coup de poing, faisant ainsi entrer « la force dans la vie ». Giono procède à la manière de Faulkner, qui aimait à répéter que l’écrivain « n’a aucun scrupule à dérober, emprunter, mendier ou ravir à n’importe qui ce dont il a besoin pour accomplir son œuvre » [23]. Ce même 25 octobre 1938, Giono, qui n’avait pas encore trouvé le nom de famille et les prénoms de ses personnages, désignés jusqu’ici « l’Aîné » et « le Cadet », a enfin trouvé : « Le nom. Jason. Je n’ai rien trouvé de mieux. Il faut qu’il fasse un peu grec ». Si Jason fait « un peu grec », c’est aussi le prénom du père et de l’un des fils Compson dans Le Bruit et la Fureur. Il est difficile de dire si, à cette date, Giono avait déjà connaissance du roman de Faulkner, qui ne sera publié par Gallimard qu’en décembre, et si sa lecture aurait pu influer sur le choix de ce patronyme.  
     Au-delà de l’impact immédiat de Sartoris sur Deux cavaliers de l’orage, des échos plus lointains du roman de Faulkner peuvent se deviner chez Giono. Ainsi le destin de John Sartoris aîné qui va vers la mort par lassitude de tuer, même en état de légitime défense. Ce que commente ainsi le vieux Falls : « Quand on se met à tuer des gens, on ne sait plus où ça s'arrête. Et quand on s'y met on est comme qui dirait déjà mort soi-même » [24]. N’est-ce pas déjà le destin de Langlois dans Un roi sans divertissement, qui se profile ici ? Ce que semble confirmer une réplique du scénario tiré par Giono de son roman en 1962, quand une jeune fille apercevant Langlois rôdant autour des habitations avec sa courroie d’étrangleur, dit de lui : « C’est personne. Il est mort ».
     À lire l’article de Sartre sur Sartoris, on ne peut qu’être frappé par les observations  (par ailleurs critiques à l’égard de Faulkner), qui peuvent s’appliquer aux futures « Chroniques romanesques » de Giono, à Un roi sans divertissement et aux Âmes fortes, en particulier. Ainsi, quand Sartre écrit ne « plus accepter l’homme de Faulkner », qui est « un trompe-l’œil », car la technique du romancier est de « ne pas dire, rester secret, déloyalement secret – dire un peu. [...] Ici les gestes ne visent pas à peindre, mais à cacher ». L’homme présenté par Faulkner est « un Introuvable », poursuit Sartre, « on ne peut le saisir ni par ses gestes qui sont une façade, ni par ses histoires qui sont fausses, ni par ses actes, fulgurations indescriptibles ». Les actes, qui « font l’essentiel du roman [...] Faulkner ne les nomme pas, n’en parle pas et, par là, suggère qu’ils sont innommables, par-delà le langage ». Quant à la conscience des personnages : « Qu’y voyons-nous ? Rien de plus que ce qu’on pouvait voir du dehors : des gestes ». [...] Et voilà ce que je ne puis admettre : tout vise à nous faire croire que ces consciences sont toujours aussi vides, toujours aussi fuyantes. [...] Ce qu’il y a dans cette conscience qu’on veut noyer, il ne nous le dit pas. Ce n’est pas qu’il veuille exactement nous le dissimuler : il souhaite que nous le devinions, parce que la divination rend magique ce qu’elle touche ». [...] Les paysages de Faulkner s’ennuient autant que ses personnages. Le véritable drame est derrière, derrière l’ennui, derrière les gestes, derrière les consciences ».
     Lisant ceci, Giono ne pouvait qu’être attiré vers un roman et un écrivain, qui travaillait dans une direction, dont il sentait – peut-être encore confusément en 1938 – qu’il lui fallait l’emprunter pour se renouveler et faire évoluer sa technique narrative. Ce qu’il explicitera devant Luce et Robert Ricatte, quand il leur parlera du Bruit et la Fureur en 1965 [25].
 
Lecture de Faulkner entre 1939 et 1945
 
     En 1939, Giono cite Faulkner au début de Recherche de la pureté, son ultime texte pacifiste, où il insère quelques lignes de « Victoire », la première nouvelle du recueil Treize histoires. Sur la guerre, Faulkner et Giono ont des points de vue opposés, mais Giono retient de la nouvelle quelques mots, d’ailleurs soulignés par Raimbault dans sa préface au recueil, qui mettent en lumière l’absurdité de la guerre et le désarroi des survivants : «  Il y a aussi le simple soldat : ni bon, ni mauvais, enrôlé là-dedans parce qu’il n’est pas contre. Il y subira sans histoire le sort des guerriers jusqu’au jour où, comme le héros de Faulkner, il découvrira que “n’importe qui peut choir par mégarde, aveuglément, dans l’héroïsme comme on dégringole dans un regard d’égout grand ouvert, au milieu du trottoir” » [26]. Pour ce qui nous intéresse ici, il faut rapprocher la date du dépôt légal du livre, le 9 juin 1939, de celle du jour où Giono a commencé la rédaction de Recherche de la pureté, le 5 juin. Il a donc lu Treize histoires dès sa publication. Il en sera désormais ainsi pour tout ce qui paraîtra de Faulkner en France au cours des trente années à venir [27]. Mais « l’appétit » de Giono pour les œuvres de Faulkner va se heurter à sept années de disette éditoriale et il lui faudra attendre 1946 pour accéder à d’autres traductions inédites. Pendant la guerre, Faulkner n’en reste pas moins présent à son esprit. Dans son Journal, Giono écrit en date du 17 février 1944 : « Je suis aux prises avec l’idée d’écrire un très grand et très sordide poème avec Fragments d’un paradis [...] Catalogue des richesses, amertumes. Une condition humaine mais avec des formules artistiques de Renaissance. Je dis très mal tout ce que je sens d’admirable que ce sujet pourrait avoir. Pas Bernardin de Saint-Pierre, mais Lautréamont ; Rimbaud, Cook, Dumont d’Urville ; Edgar Poe, Faulkner, le Melville de Moby Dick » [28]. La Seconde Guerre mondiale n’est pas encore tout à fait terminée, que Giono, tout à son impatience de connaître d’autres œuvres de Faulkner, écrit à Michel Gallimard, le 19 avril 1945 : « J’ai vu que vous aviez annoncé un Faulkner : Pylône [29]. Faites-le-moi envoyer, quand il paraîtra ». Le 30 juillet suivant : « J’aimerais que vous me fassiez envoyer [...] Sanctuaire de Faulkner, Sartoris, Le Bruit et la Fureur [30] et ce qui est traduit en plus de W. F., Pylône ou Absalon ». Le 3 octobre 1945, outre des romans de Caldwell, Hemingway, Dos Passos et  Steinbeck, il demande que lui soient envoyés « naturellement à leur parution Faulkner, Pylône et le Dr Martino » [31]. Le 14 septembre 1946 : « Je vois que le Rimbaud vient de paraître à la Pléiade. Voulez-vous me le faire adresser, ainsi que : William Faulkner – Pylône... »
 
Tandis que j’agonise
 
     Giono ne s’est jamais exprimé sur ce roman, dont Henri Godard a souligné les affinités avec Colline, « aussi bien sur le plan thématique que sur le plan formel » [32]. Faulkner écrit Tandis que j’agonise à l’automne 1929, un peu moins de deux ans après que Giono eut achevé son roman et au moment même où celui-ci paraît, traduit en américain, chez Brentano’s. Dans les deux romans, « une communauté rurale isolée, réunie autour d’une agonie et comprenant un personnage de demi-voyant, est aux prises avec la mort et avec le déchaînement des éléments. Ici et là, la narration épouse tour à tour le point de vue de plusieurs personnages, et surtout, trait marquant du roman de Faulkner plus encore que de celui de Giono, apparaît un même désir d’intégrer au style une langue parlée de caractère paysan ». De même qu’il découvrira a posteriori la coïncidence entre ses premiers romans et certaines œuvres d’un écrivain du Nord, le Norvégien Knut Hamsun, Giono découvre dix ans après la publication de Colline sa proximité avec un romancier du Sud et, chez les deux, il n’hésite pas à prendre ce dont il a besoin pour sa propre création [33]. Au cours de la période de transition dans la création gionienne (1938-1944), il faut signaler l’incidence possible, mise en évidence de manière très convaincante par André-Alain Morello, de la lecture de Tandis que j’agonise sur l’épisode du voyage de Père dans « Promenade de la mort » (1940), « autre épopée paysanne et funèbre, dont l’image centrale est aussi une charrette transportant un cadavre ». L’intimité de Giono avec les romans de Faulkner va naturellement dans le sens de cette « profonde parenté des deux œuvres », analysée par Morello [34]. Mais d’autres œuvres de Giono, comme Mort d’un personnage et Les Âmes fortes, ont également été rapprochées de Tandis que j’agonise. Dans son essai, Norma L. Goodrich développe les arguments qui, à ses yeux, montrent à la fois l’influence de Tandis que j’agonise sur Mort d’un personnage, dont une même singularité dans le traitement de l’agonie d’une mère, et la communauté de point de vue entre Faulkner et Giono sur le personnage de la mère, Addie chez l’un, Pauline de Théus chez l’autre : les enfants d’Addie, comme Angelo III, voient dans la mère (ou la grand-mère), ce que la société leur a dicté de voir en elle et dont ils découvrent qu’elle ne saurait le leur donner.
 
Le Bruit et la Fureur
 
     Si les rapprochements les plus fréquents entre les romans de Faulkner et ceux de Giono se font à propos des « Chroniques romanesques », il ne faut pas négliger le rôle qu’ont pu jouer ses lectures faulknériennes dans la composition du « cycle du Hussard ». Quand, au printemps 1945, Giono conçoit son projet, il le voit comme un seul grand roman en dix volumes et la présentation qu’il en fait à Michel Gallimard, le 22 juin 1946, n’est pas sans rappeler l’architecture faulknérienne : « Le livre est un ouvrage romanesque qui débute en 18.. et se termine en 1945. [...] Il n’est pas raconté dans l’ordre chronologique, mais s’éclaire par reflet dans une composition dont l’explication dépasserait le cadre de cette lettre ». Depuis « Histoire des Jason », c’est la première fois que Giono revient au romanesque généalogique avec la famille Pardi, chez qui il y a Angelo I, II et III, comme il y a trois John et trois Bayard chez les Sartoris. Si, dans « la geste d’Angelo »,
la référence à Stendhal est aussi limpide que connue, Giono avait songé à placer le moins « stendhalien » des romans du cycle, 
Mort d’un personnage, sous patronage faulknérien [35]. Écrit en septembre 1945, le premier chapitre, retranché du roman, tel qu’il sera édité en 1949, est précédé sur le manuscrit de deux épigraphes : l’une tirée de Dans les mers du Sud de Stevenson ; l’autre – « Dénués de tout sauf d’impuissance et de besoin. W. F. » – vient d’une œuvre de Faulkner, que Pierre Citron dit n’avoir pu identifier.
     L’exemplaire du Bruit et la Fureur qui se trouve dans la bibliothèque de Giono, très certainement celui que Michel Gallimard a envoyé en août 1945, confirme que Giono était bien revenu à ce roman de Faulkner, peu avant de se lancer dans la rédaction du second volet du cycle. Sur les pages de garde, il a pris plusieurs notes préparatoires à la rédaction de Mort d’un personnage. La première concerne les dernières pages du chapitre initial, mis ensuite de côté : « C’était le totem de la famille / et comment il sauta dans les forêts françaises en grand uniforme du roi de Sardaigne ». Dans son article « Giono et Faulkner », Henri Godard souligne que l’intérêt de cette note « est de présenter des éléments qui ne figurent pas ailleurs » et que « la formule “totem de la famille” ne semble figurer dans aucune des parties publiées du cycle ni dans les carnets correspondants ». La rapportant à l’ouverture d’Angelo, il émet l’hypothèse qu’elle a pu être prise sur l’exemplaire du Bruit et la Fureur acquis en 1938. Ce qui accréditerait, toujours selon Godard, les propos de Giono faisant remonter la conception du Hussard au milieu ou à la fin des années trente [36]. Cette hypothèse est démentie par le premier chapitre de Mort d’un personnage donné en variantes dans la Pléiade, où la phrase ébauchée sur la page de garde du Bruit et la Fureur se trouve, ainsi rédigée : « Mon grand-père est arrivé d’Italie monté sur son cheval de Parade. Cette image était le totem de la famille.
Et comment il entra au galop dans les forêts françaises en grand uniforme de colonel des hussards du roi de Sardaigne. C’était le totem d’entrée » 
[37]. Une seconde note esquisse deux passages du début de l’actuel chapitre I de Mort d’un personnage.
     Un autre élément se rapportant au projet du Hussard doit peut-être aussi à Sartoris : le titre L’Éclair de chaleur envisagé par Giono pour l’un des volumes du cycle et qui apparaît sur une page de carnet en mai 1949, associé à une note où il est question du « néant de l’héroïsme » et de « l’inutilité » de la vie d’Angelo. Chez Faulkner, Bayard Sartoris I, « une tête brûlée », se fait tuer pendant la guerre de Sécession à l’occasion d’un coup d’éclat aussi bravache qu’inutile. Devenue une légende familiale, cette mort spectaculaire est régulièrement évoquée chez les Sartoris par tante Jenny, la sœur de Bayard II : « ... la brève carrière de Bayard Sartoris, écrit Faulkner, traversait comme une étoile filante la plaine obscure de leurs communs souvenirs et de leurs communes souffrances, l’illuminant d’un éclat momentané, comme un éclair sans tonnerre qui laisse après son passage une sorte d’éblouissement » : « un éclair sans tonnerre », autrement dit un « éclair de chaleur ». On peut aller jusqu’à se demander si Giono n’a pas fantasmé la mort qu’il a totalement inventée de son propre grand-père, présenté comme le « modèle d’Angelo », en s’inspirant de celle de Bayard Sartoris. Dans les deux cas, le geste qui conduit à la mort apparaît aussi absurde que suicidaire. Ce qui retient surtout l’attention est la symétrie des déplacements qui précèdent l’instant où les deux personnages se jettent au-devant d’un danger mortel. Ayant amorcé un mouvement de retraite, Bayard Sartoris fait faire demi-tour à son cheval pour récupérer un baril d’anchois sous le feu ennemi. Dans l’une des versions de la mort de son grand-père mythique, donnée en 1951, Giono raconte que celui-ci assiste à l’incendie d’une maison où étaient installés les comptables d’un chantier qu’il dirigeait : « Il s’était approché pour porter secours et voyant tous les employés dehors, il allait s’en retourner quand il l’eut l’air de changer d’avis, et il entra délibérément dans le feu en grommelant je ne sais quoi d’idiot, “qu’il allait sauver les livres comptables”, par exemple » [38]. Dans Noé, en 1947, Giono proposait une autre version encore plus proche de l’absurde fanfaronnade de Bayard Sartoris : « Il est entré volontairement dans une maison en flammes pour aller sauver je ne sais plus quoi, certainement pas une vie humaine, il avait trop de mépris pour ses contemporains. On n’a jamais su ce qu’il voulait censément sauver au juste... »
     Le Bruit et la Fureur est pour Giono un livre de référence, inséparable de ce « nouveau Giono », où lui-même découvre « des ressources insoupçonnées » [39] deux semaines après s’être lancé dans la rédaction « fugitive et sauvage » de sa première « chronique » : Un roi sans divertissement. La préface qu’il rédige en avril 1962 pour une édition illustrée des « Chroniques romanesques » chez Gallimard est, bien que le nom de Faulkner n’y soit pas mentionné, « crypto-faulkérienne ». Ce caractère n’avait été relevé jusqu’ici qu’à propos de l’un des deux points essentiels qui, dans cette préface, font implicitement référence à Faulkner : le « Sud imaginaire », dont Giono dira, explicitement cette fois, à Jean Carrière, en 1965, qu’il a été « inventé comme a été inventé le Sud de Faulkner ». L’autre point important abordé par Giono dans sa préface est celui de la technique narrative : « Exprimer quoi que ce soit se fait de deux façons : en décrivant l’objet, c’est le positif, ou bien en décrivant tout, sauf l’objet, et il apparaît dans ce qui manque, c’est le négatif » [40]. Giono pense ici à Faulkner, mais il n’en fera la confidence qu’en avril 1965, au cours d’un entretien avec Luce et Robert Ricatte, qui l’interrogent à propos de Que ma joie demeure. Jugeant sévèrement le « procédé lyrique » qui était le sien dans ce roman, Giono s’explique : « Il y a deux façons de faire le portrait d’un personnage, c’est de dessiner ses limites et de remplir le personnage, c’est son portrait ; ou dessiner tout sauf le personnage : il apparaîtra en blanc. Je pouvais faire la même chose pour les idées : ne pas les exprimer et les laisser apparaître en blanc. Faulkner a fait ça très souvent : dans Le Bruit et la Fureur, il le fait très bien. Il emploie un langage d’élision pour dire des choses extrêmement importantes et intelligentes. Et ces choses apparaissent dans le texte en blanc. Il ne les exprime pas. Il exprime tout le reste et le seul mot que nous aimerions voir prononcé ou écrit n’y est pas, mais il nous le suggère suffisamment fort pour que nous puissions le sentir » [41]. Giono ajoute qu’à l’époque où il écrivait Que ma joie demeure, il n’était pas « assez fort » pour employer ce procédé. Ce qui sous-entend que dans les « Chroniques », il a trouvé cette force-là.
     Dans son Journal, en date du 4 octobre 1946 [42], alors qu’il est sur le point d’achever Un roi sans divertissement, dont la « nouveauté » vient de lui suggérer le projet d’un plus vaste ensemble, sous-titré alternativement « Chroniques » ou « Opéra bouffe », à écrire parallèlement aux romans du cycle du Hussard, Giono semble pourtant prendre ses distances avec le « modernisme » américain : « La formule opéra bouffe est nouvelle : cadre traditionnel du roman français et modernisme.
Si on veut “renaître”, il ne faut imiter ni Balzac, Stendhal (pour lesquels, même en innovant dans le style, pourrait rester le reproche de réaction), ni Steinbeck-Faulkner-Hemingway qui n’ont pas une façon de composer française, sur la méthode desquels, spécifiquement américaine, on ne peut brancher de méthode de pensée spécifiquement française, ou en ce qui me concerne, latine » 
[43]. Il n’en est pas moins évident que Giono a trouvé chez Faulkner les formes d’un « modernisme », qui le fascine et dont il entend faire bénéficier son œuvre. La lecture de Faulkner, particulièrement celle du Bruit et la Fureur, a libéré Giono de la narration traditionnelle, linéaire et chronologique, et lui a révélé les possibilités offertes par la délégation du récit à des narrateurs multiples. À partir d’Un roi sans divertissement, plusieurs de ses romans proposeront, comme l’écrit André Bleikasten d’Absalon, Absalon !, « à la fois une tresse de voix et une pluralité de points de vue », qui « se divisent et se dispersent » [44]. C’est peut-être aussi la lecture de Sanctuaire, qui lui a fait entrevoir les ressources tragiques du roman policier, qu’il avait dédaigné jusque-là, le jugeant un « condensé de pittoresque » [45]. Giono n’est pas encore le lecteur friand de la « Série noire », qu’il deviendra après 1946, quand il écrit Un roi sans divertissement, où il semble faire sienne la formule fameuse de Malraux, concluant ainsi sa préface au roman de Faulkner : « Sanctuaire, c’est l’intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier ». Un roi sans divertissement, dont la campagne d’écriture correspond exactement à celle du Bruit et la Fureur, telle que la décrit André Bleikasten : « Pour Faulkner, ce fut d’abord l’expérience bouleversante d’une écriture emportée par sa propre urgence, sans rien qui ressemblât à une arrière-pensée et sans rien qui fût de l’ordre du projet » [46].
 
Absalon, Absalon !
 
     Les deux romans de Faulkner qui ont certainement le plus compté pour Giono sont ceux que la critique faulknérienne tient aujourd’hui pour les plus importants de leur auteur : Le Bruit et la Fureur et Absalon, Absalon ! La lecture d’Absalon, Absalon !, en 1953, dès la publication de sa traduction française, a été un événement considérable pour Giono, si l’on en juge par l’onde de choc qu’elle a provoquée et dont les effets vont se faire sentir dans nombre de ses projets romanesques jusqu’à la fin de la vie. À l’automne 1954, au retour d’un déjeuner avec ses amis d’Herbès, de Saporta et de Boisgelin, Giono ébauche sur son carnet de travail le scénario d’un roman, dont le sujet est on ne peut plus faulknérien : l’ascension d’une classe sociale déshéritée aux dépens de la classe aristocratique sur le déclin. Il va y penser pendant plusieurs années et entretiendra régulièrement Claude Gallimard de cette nouvelle « chronique », comme du livre à paraître après Le Bonheur fou, mais Le Duché [47] ne connaîtra jamais le moindre début de rédaction. Il s’agit de l’histoire d’une « souillon de cuisine » qui « constitue un duché », à une « époque où la société aristocratique est en pleine décadence par rapport à la bourgeoisie ». Une note de Giono, indiquant « Absalon » sous le titre Duché sur une page de carnet de travail, nous apporte la preuve formelle d’une parenté consciente entre son projet et le roman de Faulkner [48]. Sutpen, le héros d’Absalon, Absalon !, explique Faulkner aux étudiants de l’Université de Virginie est un homme qui a voulu « créer un duché ». Comme celui de Sutpen, le rêve dynastique de la servante de Giono devait aboutir à un échec : elle finira « par mourir, seule et dégoûtée de tout, au fond d’un dernier château délabré, ayant perdu tous les autres, tous ses enfants et toute sa fortune à l’orée de l’époque moderne, quand la bourgeoisie est à son tour en pleine décadence, s’abaisse devant une nouvelle classe en passe de prendre les rênes et de dominer l’époque ». Des consignes de style prises sur le carnet de travail peuvent aussi être référées à Faulkner : « Forme moderne du récit – notes au bas de page retours en arrière – Conversation avec toute sa liberté ». Fin 1957, Giono dresse, sur une page de carnet, une liste de titres, dont le troisième, après Le Duché et Les Mauvaises actions est : « Sans titre (j’étais bien décidé à connaître la vérité) » ou « Peut-être “Un monde fou” ». Contrairement aux deux autres, il est impossible de savoir ce qu’il envisageait derrière ce dernier titre, mais la structure du récit, esquissée sur une autre page en vis-à-vis, rappelle celle en quatre temps du Bruit et la Fureur :
J’arrivais à M bien décidé à tout savoir
1er récit
2ème récit
3ème récit
C’est moi !
Longue confrontation des récits et de la réalité d’où sort un autre récit.
      Le thème faulknérien de la création de grands domaines « sudistes », présent dès 1947 dans Noé avec ses nombreuses figures de dynastes constituant domaines et « duchés », continuera à hanter Giono jusqu’à la fin de sa vie. Après l’abandon du Duché, il y revient dans deux projets, « Les Terres du Boer » et « Les Mauvaises actions », eux aussi abandonnés, et en 1964 dans Dragoon, où il veut non seulement rassembler les matériaux romanesques de tous ses projets précédents, mais peut-être tenter une fusion entre son univers personnel et celui du Faulkner d’Absalon, Absalon ! Pour Giono, Dragoon doit être un roman résolument neuf dans son œuvre : il « sera, je crois, très surprenant. Il surprendra (même ceux que j’ai l’habitude de surprendre) », écrit-il à Claude Gallimard. Au même correspondant, le 22 janvier 1968, à propos d’Olympe et de Dragoon, il écrit que ces deux romans « seront très nouveaux de facture et de sentiments. Rien de semblable à ce qu’on appelle (bêtement) la première (?) ou la seconde (?) manière. Ce sera donc la troisième (?) ». Avec Dragoon, roman « troisième manière », Giono voulait-t-il donner une œuvre qui aurait été à son compagnonnage avec Faulkner ce que 
Le Hussard avait été par rapport à Stendhal ? À propos de Dragoon, Giono mentionnera au moins une fois le nom de Faulkner, en déclarant à Paul Morelle pour Le Monde, en 1968 : « L’usine n’est pas le personnage central de mon livre ni le plus important. Elle n’est qu’un personnage comme les autres, comme la guerre de Sécession est un personnage parmi d’autres dans l’œuvre de Faulkner ».
     J’ai déjà eu l’occasion de signaler les nombreux points de tangence et de convergence entre Dragoon et les romans de Faulkner, dont des emprunts manifestes à Absalon, Absalon ! [49] : à côté de l’édification de grands domaines « sudistes » sur fond d’affairisme, de racket ou de brigandage et la démesure prométhéenne des Le Duc, proche de celle de Sutpen,
nous trouvons dans 
Dragoon, outre le thème de l’inceste frère-sœur et une interrogation lancinante sur l’hérédité, des atmosphères et des personnages nouveaux chez Giono, qui semblent directement issus du chef-d’œuvre de Faulkner [50]. Sur ce point, la bibliothèque de l’écrivain est une fois encore révélatrice : tandis qu’il prépare, puis rédige le début de sa première version de Dragoon, Giono a déployé devant lui plusieurs romans de Faulkner, comme le montrent les notes, plans et essais de phrases destinés à ce roman, qui ont été rédigés sur les pages de garde de Requiem pour une nonne, Les Larrons [51] et Absalon, Absalon ! Certaines consignes d’écriture des carnets de préparation rappellent les procédés employés par Faulkner dans Absalon, Absalon !, la présentation typographique de monologues intérieurs, par exemple :
« Ce qu’il dit [Stephen], ce qu’il pense (
en italique). Mettre les choses au point dès le début. Mais pas systématiquement, seulement quand cela apporte quelque chose au drame. Seulement dans les conversations dramatiques ou indirectement dramatiques entre le frère, la sœur et les étrangers (même le maçon vers la fin) [52].
/ Il dit – Il se dit que (italique) / Je suis obligé de dire noir et je pense blanc, car... Faut-il lui dire que, etc. / (Une fois ou deux, puis abandonner les “il se dit” et mettre le monologue intérieur en italique) ».

     En 1964, quand il met en chantier Dragoon, Giono vient de lire Faulkner à l’Université. Entre autres propos tenus par Faulkner devant les étudiants de l’Université de Virginie, celui-ci résume exactement ce que Giono veut mettre en scène dans ce nouveau roman : « Pour moi, aucun homme n’est ce qu’il est, il est la somme de son passé. Il n’existe rien qu’on puisse appeler le passé, parce que le passé existe dans le présent. Il fait partie intégrante de tout homme, de toute femme, et à chaque instant. Tous leurs ancêtres, leur arrière-plan, c’est une partie d’eux-mêmes à tout moment ». Des nombreuses notes de Giono se rapportant au système des personnages dans Dragoon vont dans le sens faulknérien d’un passé qui vient se rejouer sur la scène du présent : « Des thèmes, des obscurités, des résurgences pour d’abord poser les caractères pour qu’on puisse en attendre avec anxiété les retours héréditaires jusqu’à l’époque moderne » ou « Pour les éclaircissements de l’histoire des Romanins : revenir à l’arbre généalogique ». C’est la seule fois où Giono établira dans les brouillons de l’un de ses romans une généalogie de ses personnages, ce qui n’est évidemment pas sans rappeler celle des personnages d’Absalon, Absalon !, que Faulkner a placée à la fin de son roman. Il faut à Giono « remonter dans le passé » et « les lointains de la famille », pour faire entrevoir « les sombres profondeurs », d’où vient ce « goût du monstrueux » caractérisant des personnages qui s’interrogent en vain sur son origine. Nous sommes proche ici de la question que se pose Miss Rosa dans Absalon, Absalon ! : « même moi je me demandais souvent ce que notre père ou son père avait bien pu faire avant qu’il n’épousât notre mère, qu’Ellen et moi dussions expier toutes deux et qu’il ne suffise pas d’une seule d’entre nous ; quel crime avait été commis qui destinât notre famille à être l’instrument maudit non seulement de la perte de cet homme mais aussi de la nôtre » [53].
     Après quelques semaines de travail, Giono interrompt la rédaction de Dragoon. Il ne la reprendra que deux ou trois ans plus tard, en choisissant d’aller dans autre direction. Il adopte alors une technique narrative différente, plus tournée vers Proust. À un universitaire américain, W. D. Miller, venu l’interroger en 1967, il déclare avoir « effacé tout ce qui a été écrit » auparavant : « J’avais un style qui ne convenait pas. Alors, je l’ai tout démonté [la première version du récit] et je l’ai remonté ailleurs avec un autre style ». Il est permis de se demander si Giono n’estimait pas que, si le style adopté dans sa première version « ne convenait pas », ce n’était pas dans la mesure où il ne s’était pas assez émancipé de sa fascination pour Faulkner et n’avait pas assez creusé l’écart avec Absalon, Absalon ! pour trouver sa propre voix.
 
Faulkner à l’Université
 
     Les conférences données par Faulkner en 1957 et 1958 à l’Université de Virginie, publiées en 1964 par Gallimard sous le titre Faulkner à l’Université, ont trouvé chez Giono un lecteur attentif et lui ont confirmé combien il avait raison de se sentir proche de son homologue américain sur de nombreux points trop longs à relever ici. Il a pu constater, entre autres choses, que Faulkner et lui-même partageaient les mêmes références littéraires : Homère, les tragiques grecs, Shakespeare, Cervantès, Dickens, Gogol, Stevenson, Melville (Faulkner tenait Moby Dick pour le plus grand livre de la littérature américaine), Tchekhov, Dostoïevski, Conrad. Grand lecteur des romanciers français du XIXème siècle, Faulkner semblait cependant plus tourné vers Balzac et Flaubert que vers Stendhal. Mais, il retint surtout ce que Faulkner disait de la création de son « domaine » personnel, ce « Sud imaginaire » qui, si différent soit-il du sien, devint désormais l’exemple que Giono donnera pour réfuter toute assimilation ou réduction de sa géographie romanesque à la Provence. À propos de l’invention de son comté de Yoknapatawpha, Faulkner dit : « Je n’ai fait que me servir de l’instrument le plus près, à portée de ma main. Je me suis servi de ce que je connaissais le mieux, c’est-à-dire le pays où je suis né et où j’ai passé la plus grande partie de ma vie [...] J’ai essayé de peindre des êtres, en me servant du seul instrument que je connaissais, c’est-à-dire le pays que je connaissais. [...] Quand vous prenez la peine d’inventer un domaine à vous, vous êtes aussi maître du temps. Je crois avoir le droit de déplacer les choses, çà et là, et de les mettre partout où cela semble devoir faire le meilleur effet. Je peux les déplacer dans le temps et, si nécessaire, changer leurs noms. [...] Je ne crois pas que la topographie, une certaine topographie produise un écrivain et qu’une autre ne le produise pas » [54]. Giono, qui pense la même chose et pratique de la même manière que Faulkner, réagit à ces propos par une note prise dans son carnet de travail : « Mensonge et création. Création artistique. La vérité plus l’artiste. Ce que j’ai fait avec le Sud imaginaire ». En 1964, au cours de ses entretiens radiophoniques avec Jean Carrière, Giono explique que s’il considère Faulkner comme un véritable romancier, c’est dans la mesure où il « crée son pays, son Sud imaginaire, ses personnages, ses drames et toute sa famille dramatique qui se trouve autour de lui ». Il ajoute en ce qui le concerne et dans des termes voisins de ceux employés par Faulkner : « La Provence que je décris est une Provence inventée et c’est mon droit [55], c’est un Sud inventé comme a été inventé le Sud de Faulkner. [...] Rien n’est fonction du pays qui est sous mes yeux, et il participe du pays qui est sous mes yeux mais en passant à travers moi ». En 1967, à une question malheureuse de W. D. Miller : « Est-ce que dans votre œuvre, vous espérez “tisser” une légende de la Provence ? », Giono répond de manière péremptoire : « Pas du tout. Ce n’est pas la Provence du tout. Je ne connais pas la Provence. C’est une région inventée, comme Faulkner a inventé avec le comté de Yokpanatawpha. C’est un endroit inventé, personnel, mais qui n’a rien à voir avec la Provence. C’est comme ça. Ça aurait pu être ailleurs. Je peux habiter demain en Allemagne, à Munich, en Suisse. Je peux vivre en Bulgarie, j’écrirais quand même une région Giono, et qui m’appartiendrait à moi-même, qui ne serait pas à d’autres, personnelle ».
 
Conclusion
 
     Il n’est pas indifférent de constater que Giono rencontre l’œuvre de Faulkner en 1938, au moment où il commence son immersion dans l’œuvre intégrale de Stendhal, dont il écrit dans son Journal, en date du 25 octobre 1938 : « C’est un homme bouleversant. C’est à mon avis le plus grand homme de lettres de France » [56]. Or, c’est ce même jour que nous voyons s’affirmer la marque laissée par la lecture de Sartoris sur Deux cavaliers de l’orage. Le dialogue que Giono va entretenir pendant plus de trente ans avec les œuvres des deux écrivains est nécessairement de nature différente : d’un côté, le maître français du passé, dont l’œuvre achevée s’offre à lui chronologiquement dans sa totalité ; de l’autre, le contemporain américain, de deux ans plus jeune que lui, dont les romans ne lui parviendront qu’en désordre, au fur et à mesure de la publication de leur traduction en France. Quand il découvre Faulkner et commence à prendre l’œuvre de Stendhal à bras le corps, Giono éprouve en lui-même, depuis déjà quelque temps, la nécessité d’engager son œuvre dans une voie nouvelle. « La lecture de Stendhal a sans doute été l’élément déclencheur de cette prise de conscience, mais Giono y était préparé par une évolution intérieure personnelle », écrit Jean-Yves Laurichesse [57]. Sa lecture de Faulkner, sur laquelle Giono sera pendant très longtemps des plus discret, est l’autre source à laquelle sa création va se renouveler dans un dialogue permanent tissé d’affinités et de différences. Comme de Stendhal, Giono aurait pu dire de Faulkner : « Tout ce qu’il écrit a un profond écho en moi » [58]. À partir de 1946, les deux blocs qui dominent l’œuvre de Giono portent pour l’un – le cycle du Hussard –  la marque de sa lecture de Stendhal, et pour l’autre – les « Chroniques romanesques » – celle de la lecture de Faulkner : d’un côté, comme l’écrit Jacques Chabot, une « narration qui reste linéaire, suivant un ordre chronologique continu, comme dans un roman d’aventures » ; de l’autre, des œuvres qui présentent « à des degrés divers, la particularité de n’être pas des romans de type traditionnel [...] des romans de la désintégration, soit du récit, soit du héros, soit du narrateur, soit des trois à la fois » [59]. Cette « désintégration », il la doit largement à la lecture de Faulkner, dont les romans se présentent à lui comme un défi stimulant et accélère la mutation de son écriture. Ils permettent l’émergence de thèmes enfouis dans son imaginaire, en font apparaître de nouveaux ou favorisent l’épanouissement de motifs restés jusqu’ici en retrait de l’œuvre. Mais l’apport majeur de la lecture de Faulkner à la création de Giono se situe au niveau d’une écriture plus audacieuse dans l’ellipse, capable de donner toute sa puissance à l’inexprimé et de s’aventurer dans des expériences narratives inédites. Ce dont Giono a pu se sentir redevable vis-à-vis de son confrère « sudiste » américain est de l’avoir engagé dans ce que Robert Ricatte a appelé la « révolution copernicienne » de son oeuvre.

Jacques Mény

[1] Jacques Chabot, « Le Manuscrit et son Double », in Giono L’Humeur belle, Presses Universitaires de Provence, 1992, pp. 92-93.

[2] « Sartoris par William Faulkner », La NRF, n° 293, février 1938, article repris dans Critiques littéraires (Situations, I), Folio essais, Gallimard, 1993, pp. 7-13.

[3] « À propos de John Dos Passos », La NRF, n° 299, août 1938, article repris dans Critiques littéraires (Situations, I), Folio essais, Gallimard, 1993, pp. 14-24.

[4] La NRF, n° 309, juin 1939, article repris dans Critiques littéraires (Situations, I), Folio essais, Gallimard, 1993, pp. 65-75. Le même numéro de La NRF  publiait le texte de Giono : « Dabit à Manosque ».

[5] Norma L. Goodrich, Giono, Master of fictional Mode, Princeton University Press, 1973, p. 196. 

[6] Revue Giono n° 7, p.

[7] Bulletin Giono n° 49, 1998, pp. 113-115.

[8] Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, n° 2274, 5-11 juin 2008, p. 122. Pour Jean Carrière, Faulkner est l’« homologue américain » de Giono, Jean Giono, coll. « Qui êtes-vous », Lyon, La Manufacture, 1993, p.11.

[9] Henry Miller, Les Livres de ma vie, Gallimard, 1957, p. 110.

[10] Charles W. Scheel, « Le réalisme merveilleux dans Que ma joie demeure de Jean Giono et Le Hameau de William Faulkner », mémoire d’habilitation, Université de Paris 3-Sorbonne Nouvelle, 2001.

[11] Henri-François Imbert, « La technique de fascination. Faulkner (Absalon, Absalon !) Giono (Un roi sans divertissement) », Revue de littérature comparée, LIII, n° 13, juillet-septembre 1979, pp. 323-337.

[12] J’emprunte l’expression au titre de l’ouvrage de Jean-Paul Pilorget sur l’intertexte gionien : Le Compagnonnage souverain de Jean Giono. Intertextualité et art romanesque, L’Harmattan, 2006.

[13] Voir à ce sujet, Henri Godard, « Giono et Faulkner », in Giono l’enchanteur, Grasset, 1996, p.p. 88-90.

[14] William Faulkner, Œuvres romanesques I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1977, p. 45.

[15] Ibid., p. 52.

[16] VI, 12.

[17]
 III, 1069-1070.

[18] VIII, 279.

[19] VIII, 280.

[20] VIII, 258.

[21] VIII, 286.

[22] William Faulkner, Œuvres romanesques I, p. 122.

[23] Romanciers au travail, coll. « Témoins », Gallimard, 1967, p. 2.

[24] William Faulkner, Œuvres romanesques I, p. 23.

[25] Voir plus loin.

[26] William Faulkner, « Victoire », in Treize histoires, Gallimard, 1939, p. 40.

[27] Voir plus haut l’inventaire de la bibliothèque faulknérienne de Giono.

[28] VIII, 400.

[29] Premier roman de Faulkner publié par Gallimard après la guerre, Pylône, traduit par René N. Raimbault, ne paraîtra qu’en juin 1946. 

[30] Giono avait déjà lu Sanctuaire, Sartoris, Le Bruit et la fureur et les possédait depuis 1938. Nous ignorons pour quelle raison il souhaitait que Gallimard lui en envoie de nouveaux exemplaires.

[31]  Le Docteur Martino et autres histoires ne paraîtra chez Gallimard qu’en 1948 et Absalon, Absalon ! qu’en 1953.

[32] Henri Godard, « Giono et Faulkner », in Giono l’enchanteur, Grasset, 1996, pp. 83-84.

[33] Pour Le Chant du monde, dont il parlera comme d’une « saga norvégienne », Giono emprunte des éléments à l’une des œuvres de Hamsun qu’il a beaucoup aimée : Un vagabond joue en sourdine.

[34] André-Alain Morello, « Giono et ses promenades de la mort », in Jean Giono, Les œuvres de transition 1938-1944, La Revue des lettres modernes, Jean Giono 5, Minard, 1991, pp. 70-73.

[35] Pour Jean-Yves Laurichesse, Mort d’un personnage fait exception dans le cycle et « sur le plan narratif (comme par d’autres aspects) se rattache aux Chroniques », in Giono et Stendhal. Chemins de lecture et de création, PUP, 1994, p. 258.

[36] Henri Godard, ouvrage cité, p. 91.

[37] IV, 1284.

[38] IV, 1184.

[39] Lettre inédite datée du 14 septembre 1946.

[40] III, 12178.

[41] II, 1346.

[42] Revue Giono 1, p. 69.

[43] Ces réflexions, dans leur formulation même, sont à rapprocher de ce qu’écrit Sartre dans « Qu’est-ce que la littérature ? » : « Le succès de Faulkner, d’Hemingway, de Dos Passos n’a pas été l’effet du snobisme, ou du moins, pas d’abord ; ce fut le réflexe de défense d’une littérature qui, se sentant menacée parce que ses techniques et ses mythes n’allaient plus lui permettre de faire face à la situation historique, se greffa des méthodes étrangères pour pouvoir remplir sa fonction dans des conjectures nouvelles ». Situations, II, Gallimard, 1948, p. 256.

[44] André Bleikasten, William Faulkner, une vie en roman, coll. « Le Cercle des poètes disparus », Éditions Aden, 2007, p. 389. À ce moment de son essai, Bleikasten cite Pierre Michon, que sa lecture d’Absalon ! Absalon ! a fait naître comme écrivain. Pour Michon, dans Absalon ! Absalon ! , « c’est la littérature elle-même qui parle... ». Pierre Michon a dit tenir Un roi sans divertissement pour « l’un des sommets de la littérature universelle », au même titre, j’imagine, qu’Absalon ! Absalon ! 

[45] IV, 416.

[46] André Bleikasten, William Faulkner, p. 214.

[47] Voir ce scénario in Revue Giono 6, pp 47-48 

[48] Revue Giono n° 7, 2013-2014, p. 76.

[49] « Dragoon ou le temps échappé », in Giono, la mémoire à l’œuvre, Jean-Yves Laurichesse et Sylvie Vignes (dir.), Presses universitaires du Mirail, 2009, pp. 111-125.

[50] Le « vestibule sonore et très obscur », les « vieilles chambres fermées » de Longagne, singulièrement proches des « corridors obscurs » et des « portes closes » de la maison d’enfance de Miss Rosa, dont la mère meurt à la naissance de sa fille, comme la mère de Stephen et Florence – le couple incestueux – meurt après la naissance de cette dernière. Il y a du Miss Rosa d’Absalon, Absalon ! chez Alphonsine ou la Mademoiselle de Dragoon.

[51] Sur la page de garde de tête de Les Larrons, Giono a rédigé un fragment de texte que voici, sans qu’il puisse être rapporté directement à Dragoon ou à une autre œuvre en cours : « Il semble que vous aimeriez surtout vous entourer de bruit et de fureur tout le temps qu’on mettra à me tuer selon vos règles. Ce n’est pas ma mort que vous voulez éviter, c’est la peine d’y penser. Alors, c’est bien ça, que je vous prenne comme un couteau, que je vous lance contre quelque chose (et contre quoi je vous le demande), que vous ayez au moins l’impression d’être occupé à quelque chose, n’importe quoi pendant qu’on me tuera » (souligné par nous).

[52] Carnet Dragoon 1964, f° 20 v° et 21 r°.

[53] Faulkner, Œuvres romanesques, II, La Pléiade, Gallimard, 2008, pp. 623-624.

[54] Faulkner à l’Université, respectivement p. 15, p. 22, p. 41, p. 146.

[55] Je souligne ce rapprochement avec le mot employé par Faulkner.

[56] VIII, 286.

[57] Jean-Yves Laurichesse, Giono et Stendhal. Chemins de lecture et de création, PUP, 1994, p. 14. Une recherche comparable à celle de Jean-Yves Laurichesse sur « l’usage qu’a fait Giono du texte de Stendhal dans sa propre création littéraire » (Jacques Chabot), est souhaitable à propos de « la conversation souveraine » entre Giono et Faulkner. Un « Giono et Faulkner, chemins de lecture et de création » reste à écrire.

[58] VIII, 286.

[59] Jacques Chabot, « Le Manuscrit et son double », in Giono L’Humeur belle, PUP, 1992, pp. 92-93.
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